Changeons l'angle

 Originally Appeared in: Atlier du Roman: Number 29 | Published: March, 2002

La Génération lyrique relève le formidable défi de justifier la presence symbolique et l’influence sociale, pendant les quarante dernières années, de ceux qui naquirent à l’aube du baby-boom, entre 1945 et 1952. François Ricard force le trait dans sa description perspicace de la sensibilité et des habitudes de cette génération : ses illusions de l’agencement, son « allongement de la jeunesse » et son éducation esthétique à travers les mass média.

La lecture de La Génération lyrique m’a permis d’éprouver un sentiment rare, celui de me voir dépeint comme un exemplum et un archétype : l’aîné de la famille, né en 1949 de parents ayant récemment quitté la campagne pour la vie urbaine, élevé selon les principes du Dr Spock, captivé dès le plus jeune âge par notre premier poste de télévision, initié à la musique par Elvis, choyé par l’optimisme sans borne de mes parents, un participant actif du mouvement étudiant des années soixante, un militant pour les réformes dans le monde de l’éducation, puis, jeune professeur universitaire, entraîné dans « la frénésie d’innovation théorique » (p. 167) des années soixante-dix et quatre-vingt, et ainsi de suite. Je corresponds tout à fait au « portrait de groupe » de Ricard. Très juste. Mais cette justesse de ton risque de devenir celle que l’on retrouve dans les horoscopes, dont la vraisemblance réside dans ces généralités parfaitement exprimées, qui bannissent de l’esprit toute preuve contradictoire et, pire encore, les contradictions et ambiguïtés à l’intérieur de chacune de ces preuves, y compris celles qui semblent les plus exemplaires.

Le défaut de cet « autoportrait » (p. 16) collectif des premiers-nés du baby-boom est qu’il parvient à une trop grande cohésion, à un excès d unité aux dépens des contradictions et des ambiguïtés inhérentes à cette génération. Je propose que nous changions l’angle de vision. Pas à cent quatre-vingts degrés, puisque je suis moi-même en grande partie d accord avec le portrait et le récit de Ricard, mais plutôt à quatre-vingtdix, ou peut-être seulement à quarante-cinq degrés, juste assez pour replacer les thèmes centraux — l’illusion de l’agencement, l’allongement de la jeunesse et l’éducation esthétique – dans un récit moins cohérent, dans un portrait moins unifié. Par conséquent, je ne me lancerai pas tant dans un renversement polémique que dans une rotation critique de ces thèmes.

Ricard démystifie l’idée que la jeunesse fut un acteur décisif sur la scène historique des années soixante. En mettant en évidence le fait que les protagonistes en matière d’avancée sociale, de politique ou d influence culturelle étaient en fait tous issus de générations antérieures, il capture l’essence particulière de la génération de ces années-là dans une superbe métaphore :

Quand j essaie de me représenter globalement la place et le rôle de la jeuesse ans l’histoire de ces années […] l’image qui me vient le plus spontanément a l’esprit est au souvenir du théâtre antique. C’est l’image du choeur, entite a la fois plurielle et unanime, douée de voix mais non de geste, passive et cependant omniprésente, arrière-plan de l’action et cependant son moteur, sa raison même (pp. 98-99)….

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